Thursday, April 21, 2011

ANG DUONG : (Partie 6) La guerre pour chasser les Annamites

Thèse de Khy Phanra

« La Communauté Vietnamienne au Cambodge
A l’Epoque du Protectorat Français (1863 – 1953) »[1]

Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1974

Page 82 :

« Le Protectorat apporta dès 1863 un appui juridique à l’immigration libre des Vietnamiens au Cambodge. Dans l’article 5 du traité franco-cambodgien du 11 août 1863, il fut en effet stipulé que :

« Les sujets français jouiront dans toute l’étendue du royaume du Cambodge d’une pleine et entière liberté pour leurs personnes et leurs propriétés ; ils pourront circuler, posséder et s’établir librement dans toutes les provinces et dépendances de ce royaume lorsqu’ils en auront informé un grand mandarin cambodgien qui leur délivrera un permis. ».

« Il est vrai que les « sujets français » désignés dans le texte ne concernaient encore que les Vietnamiens des trois provinces orientales de la Cochinchine occupée par la France ; mais le terme engloba peu après tous les Vietnamiens de la Cochinchine et, plus tard, ceux de l’Annam et du Tonkin. »

En tant que sujet français les Vietnamiens, en cas de conflit avec les Cambodgiens, ne relèvent pas du tribunal cambodgien. En plus ils sont exemptés d’impôt.

pages 179, 180, 181 :

La Fondation des premières chrétientés vietnamiennes

« Les premiers efforts de la Mission se manifestèrent sérieusement à partir des premières années de la conquête de la Cochinchine, pendant lesquelles les troubles sanglantes et les persécutions avaient poussé les chrétiens cochinchinois à se réfugier nombreux au Cambodge. Dès 1861, Mgr Miche voyait arriver à Pinhalu, dans un état de dénuement matériel complet, des centaines de fugitifs venus chercher la sécurité et l’aide de la Mission. Celle-ci était obligée de les nourrir et au début de 1862, Mgr Miche devait distribuer, tous les jours du riz à 800 ou 900 Vietnamiens réfugiés dans le camp de Pinhalu (53). D’autres arrivants ne cessèrent d’affluer par la suite. La prise en charge de ces premiers contingents s’avérait lourde pour la Mission le grenier s’épuisait, la perspective de la faim renaissait tous les jours (53). En 1863, la menace de la famine devint très réelle : le prix du riz s’était multiplié par six et bien que les chrétiens n’étaient pas encore les horreurs de la disette, la Mission était déjà au bout de ses ressources (54).

« Cette situation poussait les Missionnaires à chercher à décharger la chrétienté centrale de Pinhalu où il n’y avait pas de terrain pour la culture, par la fondation de nouvelles chrétientés avoisinantes. En 1862, le père Aussoleil s’installa avec 800 réfugiés vietnamiens à Russey Keo (quartier Nord de Phnom Penh) sur une belle terre que Mgr Miche obtint du roi Norodom (55). En 1863, d’autres immigrants s’arrêtèrent à Peam Mean Chey (Banam), sur le Fleuve antérieur pour fonder une nouvelle chrétienté. A partir de 1866, les chrétiens vietnamiens originaires de Phnom Penh ou de Cochinchine allèrent occuper peu à peu les terres de la chrétienté de Moat Krasas (en face de Phnom Penh), désertée par les chrétiens cambodgiens.

« Par la suite, lorsque le courant d’immigration amena un flot continu de Vietnamiens, les missionnaires travaillèrent à regrouper les chrétiens et les non-chrétien et leur aidèrent à s’installer en leur donnant des terrains et des moyens de subsistances. Le missionnaire se doublait alors d’un colon. En effet, mis à part les Vietnamiens arrivés déjà chrétiens au Cambodge, il avait surtout accueillit de nombreux païens. Sachant que la conversion des immigrés dépendait de l’aide matérielle, il les installait sur des terres concédées par l’administration coloniale ; le terrain était défriché et divisé en petits lots répartis entre les nouveaux habitants qui les cultivaient. Assez vite les non-chrétiens étaient amenés à devenir chrétiens : c’étaient des « chrétiens de riz » (57). Le village devenait aussi chrétien ; un prêtre, Vietnamien le plus souvent, y été attaché, la chapelle construite et le culte rendu. Les exemples abondent à propos de la création, principalement sur le Mékong, d’innombrables noyaux de ces « chrétiens de riz ».

« La fondation de la plupart des chrétientés vietnamiennes eut lieu à partir de 1880, c’était l’époque où l’immigration devient intense et où il y avait parmi les Vietnamiens un mouvement très prononcé de conversion (58). Le phénomène le plus marquant  s’observe sur les deux rives du Fleuve antérieur, en aval du Banam : Vinh Loi, Vinh Phuoc, Vinh Thanh dont les habitants vivaient de l’exploitation des bambous et de la culture du maïs. L’histoire de Vinh Loi pourrait donner une idée assez précise du processus d’établissement des Vietnamiens dirigés par le missionnaire. Fondée en 1880 sur la rive gauche du Mékong antérieur, la chrétienté comptait en 1881, 103 néophytes organisés et ayant des chefs auxquels ils obéissaient. Chaque famille paysanne possédait une étendue de terre suffisante qu’elle consacrait depuis plusieurs années à la culture du mûrier, du maïs, des patates, etc (59). En 1890 Vinh Loi comptait 336 chrétiens, dirigés par un prêtre vietnamien ; cultivateurs, chacun d’eux avait encore un lopin de terre, mais le terrain peu étendu était déjà entièrement occupé et il n’y avait plus de place pour les futurs chrétiens (60). Les renseignements recueillis sur place par Delvert sont un peu différents : la chrétienté fut fondé en 1890 dans le Khum cambodgien de Trapeang Svay Phlong (srok de Peam Chor) ; la population à l’époque avait été de 600 à 800 (5500 en 1962). Elle aurait gardé encore l’ancien nom cambodgien, simplement traduit en vietnamien Koai Dôi ; le nom de Vinh Loi plus cérémonieux et traduisible en caractère chinois fut adopté, plus tard, en 1902.

« Sur le Song Bé (rivière de Banam) il y avait peu de fondations de chrétientés : An Nhon, situé dans un pays plat et bas, totalement inondé pendant les hautes eaux ; Ba Cu où un petit nombre de chrétiens vivaient dispersés au milieu d’un grand nombre de Vietnamiens pêcheurs ; Ong Chap qui possédait un terrain vaste et fertile sur lesquels s’établirent de nombreux païens. En 1907 deux autres centres apparurent : An Phu et My Thiên.

Notes :

-          53 : ACI (Archives Centrales de l’Indochine, Aix en Provence)  Rapport du représentant Fourès (p. 13 sept 1882) : Au cours de son voyage au Cambodge entre 1880-1881, Pavie rapportait de ses fréquentes rencontres avec les Cochinchinois récemment immigrés, l’impression que ceux-ci, cessant de travailler, le regardaient venir « inquiets », comme s’ils craignaient que Pavie leur demandât compte de leur « fuite » de leur pays.
-          54 : Brier (Notice sur la province de Battambang), RI (Revue Indochinoise), n° 31 – 3, 15 avr, - 30 mai 1905, p. 551
-          55 : Monographie de la province de Kratié. Géographie physique, économique et historique du Cambodge (3è fasc.), publ. De SEI (Société des Etudes Indochinoises), 1903, p. 33
-          56 : Cetom Emic (Enquête) 3A ou B : Commission d’Enquête dans les territoires d’Outre-mer. Enquête sur les Migrations intérieures au Cambodge (1938). ACI D2 53 504.
-          57 : Cf annexe
-          58 : Ibid
-          59 : ACI 10 169 : Rapport du Représentant Fourès (PP, 30 oct. 1882).
-          60 : L’Echo du Cambodge, 15 sept. 1936.

Nous pouvons envoyer une photocopie de la thèse de Khy Phanra en PDF, sur demande.

Les chrétientés au Cambodge sont de véritables Etats dans l’Etat. Ils sont défendus par les prêtres français et donc par le pouvoir colonial. Ils ont, donc, toujours raison. Lire les livres de Boun Chan Mol

L’administration française au Cambodge utilise uniquement des Vietnamiens dans les services techniques comme les Travaux Publics, le Cadastre, le Service de Cartographie etc. L’administration coloniale utilise aussi un nombre important de Vietnamiens dans la police et même des interprètes vietnamiens pour s’adresser aux Cambodgiens[2].

La première grève des lycéens Cambodgiens en 1936 est due au fait qu’on veut faire payer un impôt à des élèves Cambodgiens, alors que leurs camarades Vietnamiens en sont exemptes. C’est cette inégalité criante que révoltent les élèves cambodgiens.

Les meilleurs lycées, la seule université, toutes les organisations comme les Instituts Pasteur, les services centraux de géographie et autres sont tous au Vietnam, construit en partie avec de l’argent cambodgien. Par tête d’habitant les Cambodgiens paient plus d’impôts que les Vietnamiens. En plus les Vietnamiens au Cambodge ne paient pas d’impôt. Les Vietnamiens au Cambodge sont tellement bien choyés que lorsque qu’un vietnamien est recherché au Vietnam, il vient se réfugier au Cambodge.

Pourquoi, après le traité du Protectorat, les Chinois et surtout les Annamites ont-ils les monopoles des pêches sur les eaux du Cambodge, en particulier dans le Grand Lac Tonlé Sap ? Réponse d’Alain Forest dans sa thèse :

« Les principales revendications exprimées par les paysans cambodgiens à l’occasion des manifestations sont exactement celles qui, depuis quelque 20 années, font l’objet de la plupart de leurs plaintes et de leurs délégations : réglementation des prestations, bien sûr, mais aussi, dans presque toutes les provinces, suppression des taxes sur les engins de pêche et respect par les fermiers des droits des Cambodgiens sur les territoires de pêche non affermés et non affermables…Cette seconde revendication qui s’exprime avec violence puisque, en Choeung Prey, en Prey Veng, en Takeo, des pêcheurs vietnamiens, des fermiers chinois sont molestés et des pêcheries détruites, étonne les colonisateurs ; pourquoi donc des Cambodgiens revendiquent-ils un allègement des droits sur les engins de pêche et sur les barques « qui touchaient pourtant beaucoup plus les Vietnamiens et les Chinois » ?

« Cet étonnement est inquiétant dans la mesure où les Français ne semblent pas comprendre que la pêche a joué et continue à jouer un rôle important dans l’économie rurale. Dans l’alimentation, le poisson constitue le premier complément du riz et il est probable que, vers les années 1950 encore, la pêche était essentiellement pratiquée par des Cambodgiens. Adhémard Leclère a sans doute raison quand il écrit que, à la suite de l’introduction de l’affermage de territoire de pêche et du perfectionnement de ce système de ferme, les Cambodgiens qui ne pouvaient payer d’avance les nouveaux droits ou louer les pêcheries qu’ils avaient créées, abandonnèrent la grande pêche au profit des Chinois et des Vietnamiens et des Chams. Il y a eu en tout cas de sérieuses oppositions à ce sujet entre Cambodgiens et immigrants vietnamiens lorsque, dans les années 1879-1884, ces derniers arrivèrent au Cambodge, se fixèrent sur les bords des fleuves et rivières et louèrent aux fermiers chinois les droits sur les territoires traditionnels de pêche des Cambodgiens. C’est probablement davantage un écho de cette opposition que l’expression d’une attitude anti-vietnamienne globale, que l’on retrouve en 1916 lorsque certains villages de pêcheurs vietnamiens sont pris à partie.

« L’amertume des Cambodgiens s’accroît encore lorsque, en 1908, sont instituées les taxes sur les engins de pêche, taxes qui frappent absolument tous les engins, de l’hameçon au fourneau destiné à extraire l’huile de poisson, même s’ils ne sont utilisés que périodiquement.

« Cependant, au-delà des questions de prestations et de pêche, les Cambodgiens réaffirment lors des manifestations deux impératifs essentiels, et étroitement liés, de l’économie paysanne, impératifs toujours méconnus par les Français et qui demeureront, à savoir la nécessité pour le paysan de disposer de tout son temps et de sauvegarder la diversité de ses activités et un bon équilibre entre elles.

« Pour les protecteurs, le Cambodgien est seulement un homme de la rizière, un neak srè comme il se nomme lui-même. Dès que le paysan n’a plus les pieds dans son champ, il fainéante, pense-t-on, et on le pense d’autant plus que les préjugés sur la paresse et la passivité du Cambodgien fonctionnent à plein. Ainsi s’affirme la conviction que les colonisateurs peuvent disposer à loisir des quatre mois qui séparent la moisson des labours, entre février et mai, pour rassembler en masse les corvéables sur les chantiers.

« Or la réalité n’est pas aussi nette. Le temps, et même ce « temps mort » entre février et mai, est précieux au paysan. En premier lieu, parce que l’économie rizicole n’obéit à aucun rythme définitivement fixé. Les caprices des pluies ou des inondations perturbent toujours le calendrier idéal et mobilisent le paysan en permanence l’obligeant souvent à recommencer sa pépinière, ses labours ou son repiquage, à entreprendre – en novembre ou en février – la culture de saison sèche lorsque la récolte s’annonce ou a été mauvaise, à se déplacer dans la forêt à la recherche de tubercules ou vers d’autres régions pour y tenter quelque autre culture lorsque sévit la disette…

« En second lieu, l’économie du paysan cambodgien n’est pas fondée seulement sur la riziculture. Les activités secondaires auxquelles ils s’adonnent lui prennent son temps et jouent un rôle essentiel d’appoint et d’équilibrage. Le campagnard entretient fruits et légumes du verger, il élève de nombreuses volailles, quelques porcs, un ou deux bovins, il répare lui-même instruments, matériel et maison qu’il meuble et qu’il orne, il participe à la construction de la maison des autres qui lui rendront la pareille un jour prochain, il s’adonne à la pêche ou à la chasse, il parcourt la forêt et les friches à la recherche de rotin, de paillote ou de résine, il traque les essaims d’abeilles pour en tirer miel et cire, il coupe du bois à brûler qu’il va revendre sur des marchés parfois éloignés, il descend au Mékong ou au Grand Lac pour aller y échanger paddy contre du poisson et y fabriquer sa saumure… Tout cela tandis que sa femme, quand elle ne lui donne pas un coup de main, vaque aux occupations familiales, s’occupe des enfants, teint ou lisse le coton ou la soie sous les pilotis…

« La revendication du Cambodgien à la maîtrise de son temps, s’exprime certes autour de la question de corvée. Mais toutes les perturbations du même ordre sont aussi mal ressenties : le paysan proteste sans cesse contre le tirage au sort qui risque de mobiliser pour servir dans la milice, entre les réquisitions là où elles se pratiquent encore. Même certains membres élus de l’Assemblée Consultative cambodgienne, à l’annonce qu’ils toucheraient pourtant 3 piastres par jour d’indemnité de séjour à Phnom Penh, demandèrent aux Résidents combien il faudrait payer pour  rester au village, l’un proposa même 200 piastres pour se désister.»[3]

Dans la réalité, les Cambodgiens pêchent avec l’autorisation des propriétaires des lots de pêche. Puis c’est le propriétaire qui choisit les meilleures prises et les vend au marché, laissant le reste aux pêcheurs Cambodgiens. Puis on dit que « les Cambodgiens ne pêchent pas par peur d’aller en enfer ! (sic) ». Si c’est vrai, comment les Cambodgiens se débrouillaient-ils pour manger du poisson avant le Protectorat ?

Concernant la vietnamisation forcée du Cambodge, nous citons encore Alain Forest dans le livre que nous venons de citer :

p. 442, 443 :

Cette politique (de vietnamisation du Cambodge) culmine entre 1880 et 1884. Des départs sont organisés à partir de Sadec, Vinh Long et Cai Bâ par les chaloupes Rueff qui amènent plusieurs centaines de Vietnamiens au Cambodge. Et la persuasion des Français quant à l’efficacité de cette immigration à l’effarante naïveté : le pays change d’aspect en un clin d’œil, écrivent les autorités au gouvernement de Cochinchine, et, dès 1881, « la situation économique du pays se modifie par l’arrivée constante des Annamites »[4]

D’après le texte de Benedict Anderson, le livre de Philippe Héduy que nous venons de citer plus haut, ainsi que de nombreux autres documents, les intérêts du pouvoir colonial résident dans le développement du nationalisme vietnamien pour faire face aux menaces de la Chine. C’est pour cette raison que la France choisit Hanoi comme capitale, la ville la plus proche de la Chine.

Pourtant Ang Doung a envoyé une armée pour aider les Cambodgiens vivant en Cochinchine à se soulever contre les Annamites, pour aider les Français Après il y avait une courte reconnaissance vite oubliée :

Alain Forest :

 Note 2 : « C’est ce qui s’est passé dans la province de Soc Trang en partie rattachée, depuis 1840 seulement, à l’empire d’Annam où, pour réprimer l’hostilité des Vietnamiens, les Français remplacèrent partout les chefs et sous-chef de cantons vietnamiens par des fonctionnaires cambodgiens. Une fois la paix revenue, la province sera réorganisée à la vietnamienne et le pouvoir local rendu aux Vietnamiens. »[5]

Ajoutons que ce changement de politique coloniale s’accompagnait de terribles vengeances de la part des Vietnamiens contre les Cambodgiens. Les Cambodgiens se sont-ils laissés faire ? Réponse :

            Annexe 3

            La communauté vietnamienne au Cambodge à l'époque du protectorat français"
Par Khy Phanra (thèse de doctorat, 1974), pages 374 à 387.

Les cas de mouvements de révolte anti-française et anti-vietnamienne

La symbiose "forcée" entre Français et Vietnamiens

Les sentiments hostiles qu'entretenaient réciproquement les Cambodgiens et les Vietnamiens les uns à l'égard des autres n'ont pas changé avec l'avènement du Protectorat. La politique coloniale, qui trouvait une étroite "connexion" d'intérêts entre la France et les immigrés  vietnamiens au Cambodge, avait créé très tôt une situation privilégiée pour ces derniers, ce qui ne facilita guère - au contraire - la bonne entente entre les deux races. Ayant bénéficié d'un statut juridique de catégorie la plus favorisée, du soutien de la Mission Catholique et du Protectorat, l'immigration vietnamienne a beaucoup profité de la colonisation française.

Dès 1864, les Cambodgiens s'aperçurent que, dans toutes les querelles, les Français se trouvaient solidaires avec les Vietnamiens ; et ainsi, ils virent déjà ceux-ci envahir peu à peu, derrière les Français, leur pays (1). Par sa situation de force comme auxiliaire du Protectorat, l'immigré continue à manifester son mépris pour le Cambodgien, le considérant comme un "sauvage" qu'il ne se fait aucun scrupule de molester, tromper, voler ; il abuse toutes les fois qu'il le peut de son honnêteté simple et devient humble et souple lorsqu'il se sent isolé, pas en force (2). Les Khmers, eux, ressentirent douloureusement ce mépris venant d'un peuple qu'ils n'aimaient guère et qu'ils étaient obligés de supporter sur leur sol (3), accaparant de nombreuses ressources, et qui se conduisait souvent comme un "vainqueur" occupant un territoire conquis. Les Vietnamiens, anciens colonisateurs, furent ainsi identifiés avec les nouveaux, les Français, et considérés même comme étant plus dangereux : ce qui explique que, dans les mouvements de révolte dirigés contre ces derniers, on retrouve toujours un aspect anti-vietnamien.

La création de nombreuses chrétientés qui se composèrent presque exclusivement de Vietnamiens, traduisait bien le caractère d'association étroite de la présence vietnamienne avec celle de l'église. On verra que l'attitude trop favorable des missionnaires avec leurs chrétiens a constitué l'une des causes de la révolte de 1885-1886, au moins dans la région de Banam ; mais dès les premières années du Protectorat le roi Norodom se plaignait déjà de l' "overbearing proceding of the Roman Catholic priests" au Cambodge (4): une querelle s'éleva, en 1866, entre le roi et l'Église à propos de la question de la concession des terres de Russey Keo.

Ainsi la première révolte cambodgienne de la période coloniale, dirigée par Pou Kombo (lequel se posa également en prétendant royal), qui éclata fin 1866 était autant anti-française qu'anti-chrétienne (c'est-à-dire anti-vietnamienne) (5) : "Détruire tout chrétien jusqu'à l'extermination entière du nom de chrétien dans le pays", tel fut le mot d'ordre des insurgés (6). En janvier 1867 la chrétienté de Moat Krasas fut détruite et son curé, le Père Barreau, tué ; la chrétienté de Pinhalu incendiée et celle de Banam bouleversée. Les chrétiens vietnamiens se dispersèrent ; les pêcheurs de Pinhalu descendirent à Russey Keo. D'autres, avec les missionnaires, s'enfuirent en Cochinchine. La Mission apparut un moment comme détruite (7). Mais la révolte ne dura guère, et en décembre 1867 elle finit par la capture de Pou Kombo.

On peut discuter sur les causes de la révolte : mouvement de résistance à l'établissement du Protectorat ou révolte d'un prétendant au trône, ou les deux à la fois ; mais on saisit bien que, dans sa manifestation, elle se présenta aussi comme anti-vietnamienne. Il est également permis de penser que l'arrivée de très nombreux chrétiens cochinchinois fugitifs à partir de 1862 et la fondation des premières chrétientés avaient suscité dès cette époque une certaine attitude de réaction contre les immigrés vietnamiens.

(Suite Partie 7) ...


[1] Cette thèse de Khy Phanra peut être envoyée en PDF sur demande.
[2] « Le mal Cambodgien » de Marie-Alexandrine-Martin, Édition Hachette, Paris 1989
[3] « Cambodge », article d’Alain Forest, dans « Histoire de l’Asie du Sud-Est, Révoltes Réformes, Révolutions » textes réunis par Pierre Brocheux, Edition Presse Universitaire de Lille, 1981, p. 76 à 78.
[4] Rapport du Résuper, mars-avril 1907, AOM (Archives d’Outre-Mer), Aix 2FF1 (442, 443)
[5] « Le Cambodge et la Colonisation Française (1897 – 1920) » Edition L’Harmattan, Paris 1980, page 434 

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