Friday, April 22, 2011

ANG DUONG : (Partie 5) La guerre pour chasser les troupes Annamites

Le Cambodge entre le Siam et le Vietnam


(de 1775 à 1860)

Thèse de Khin Sok


Ed. Ecole Française d’Extrême-Orient Paris 1991 

Chapitre V 

La période calamiteuse de 1835 à 1847 (p. 87-110)
La disparition, en 1835, du roi Ang Chan, qui ne laissait pas d'héritier mâle fut à l'origine de graves problèmes successoraux. Les quatre princesses Ang Pén, Ang Mei, Ang Peou et Ang Snguon, ne disposaient  d'aucun moyen pour s'opposer à la politique annexionniste de la cour de Hué. Le pays khmer était livré aux Vietnamiens. Quant aux princes Ang Im et Ang Duong, ils étaient retenus à la cour de Siam. En dépit de cette situation déplorable, la population khmère allait se soulever contre l'occupant.
1/ L'élévation de la princesse Ang Mei

La cour de Hué voulut profiter de l'absence de tout prince dans le royaume khmer pour l'annexer définitivement. A cette fin, l'empereur Minh Mang envisagea deux procédures : la première était une alliance entre un prince vietnamien et une princesse khmère ; la seconde, qui ne devait être appliquée qu'au cas où la première échouerait, était l'élimination pure et simple de tous les dirigeants khmers, y compris les princes et les princesses.

La cour d'Annam entreprit donc, par l'intermédiaire de son représentant à Phnom Penh, le général Truong Kun, d'organiser un mariage entre un prince annamite et la princesse Ang Peou, afin d'ôter tout prétexte à une invasion étrangère. Cette alliance n'était d'ailleurs pas sans précédent, mais en 1620, c'était un roi khmer, Srey Soriopor, qui avait recherché par ce moyen l'alliance de l'Annam pour résister à la pression siamoise. Il avait marié son fils, le prince Chey Chettha à l'une des filles de l'empereur d'Annam. Cette union n'eut d'ailleurs, à cette époque, pour résultat que d'envenimer les relations avec la cour de Siam et le prix en fut, en marque d'amitié à l'égard de Hué, la cession en 1623 du territoire de Saïgon.
L'offre d'alliance par un mariage faite par la cour de Hué ne suscita que l'hostilité des khmers. Quant à la princesse Ang Pèn, elle jugea la proposition inacceptable et lui opposa un refus catégorique, dont Truong Kun prit acte non sans quelque rancune.

Les mandarins khmers décelaient sans peine les intentions réelles des Vietnamiens et ne se faisaient aucune illusion sur la prochaine disparition du royaume khmer. Ils justifièrent cependant leur refus en prétextant les différences de culture des deux nations.
Truong Kun tira de ces refus les conclusions qui s'imposaient à lui. Il écarta la princesse Ang Pèn, et il éleva autoritairement sa cadette, la princesse Ang Mei sur le trône du Cambodge tout en confisquant le pouvoir.
On ne dispose sur ces évènements que d'un seul témoignage, celui qu'Adhémard Leclère rapporte après l'avoir recueilli lui-même auprès des fonctionnaires khmers :
 
"Cependant, des gens prétendaient, avec quelque raison il semble, qu'une pareille élévation au trône (Ang Mey fut élue reine du Cambodge) était nulle de plein droit parce que, conformément à une tradition que personne n'avait jamais contredite jusqu'alors, en cas d'extinction des mâles de la famille royale, les ministres et les grands étaient tenus de choisir le roi parmi les chefs des bakous. D'autres objectaient que la tradition ne disait pas : "en cas d'extinction des mâles de la famille royale", mais "en cas d'extinction de la famille royale, donc la famille royale n'est pas éteinte". Dans une réunion secrète qui eut lieu entre de hauts personnages sur le sommet du mont Préah-reach-tréap, près d'Oudong, ces questions furent examinées et l'un des membres osa dire : "si l'élection ne porte pas sur un prince, elle sera nulle ; si ce prince n’est pas accepté par le peuple et par le roi de Siam, il y aura la guerre ; si la princesse est élue et si le roi de Siam n’intervient pas, c’est la fin du Srok khmer et son envahissement définitif par les Annamites ». Un religieux dit : « Alors, nous irons au Siam ». mais ces personnages ne furent pas appelés à délibérer et l’élection se fit sans eux. (Adhémard Leclère « Histoire du Cambodge »). (p. 87, 88)

(…)

Pour la première fois dans son histoire, le Cambodge eut une souveraine qui lui fut imposée par une puissance étrangère. Quelques mois après la mort d'Ang Chan, la princesse Ang Mei, âgée de vingt ans, fut élevée sur le trône du Cambodge par la cour de Hué. Les Vietnamiens l'obligèrent à s'installer dans son palais de Koh Slaket pour l'empêcher de se mettre en rapport avec la cour de Siam. Ils lui décernèrent le titre de "Ba Quan Chua" ce qui signifie "Maître de tous les mandarins". (p. 88)
Aucun titre honorifique ne fut offert à la princesse Ang Pèn. Les Vietnamiens sanctionnaient de cette manière le camouflet qu'avait constitué pour eux son refus du trône et d'autre part les rapports étroits qu'avait sa famille avec la cour de Siam. En effet, sa mère, Mneang Tep, était la propre fille du gouverneur de la province de Battambang, ;'Abhaithibès Bèn dont on sait l'attachement au Siam. En 1833, elle avait décidé, à l'insu du roi Ang Chan, de demander une intervention militaire du Siam pour chasser l'envahisseur vietnamien du Cambodge. En outre, l'un des frères de Mneang Tep, nommé Ma, élevé au titre de Preah Ang Kêv par le roi Ang Chan, était connu comme adversaire des Vietnamiens, et résidait, de plus, à cette époque, à la cour de Bangkok. Pour ces diverses raisons, le roi Minh Mang ordonna à son représentant à Phnom Penh de surveiller tout spécialement l'entourage de la princesse Ang Pèn.

Depuis la mort du roi Ang Chan, le roi de Siam Rama III (frère aîné du roi Mongkut) suivait les évènements du Cambodge avec beaucoup d'attention. Il s'apprêtait à intervenir le moment venu. En 1836, il ordonna de recenser les populations khmères et laotiennes qui vivaient le long de la frontière khméro-laotienne qui vivaient le long de la frontière khméro-siamoise, afin de les faire enrôler dans ses armées. Cependant que, les princes Ang Im et Ang Duong furent conduits dans l'ancien territoire khmer : le premier à Battambang et le second à Mongkol Borei (à Svay Chék).
 
2º - L'administration autoritaire des Vietnamiens

L'élévation de la reine Ang Mei sur le trône du Cambodge ne constituait d'aucune manière un obstacle à la politique annexionniste de l'Annam. La réalité du pouvoir échappait à la reine. Elle était entre les mains du général vietnamien Truong Minh Giang. Ce dernier entreprit ce contrôle tous gouverneurs de provinces, au besoin en éliminant ceux dont il pouvait craindre qu'ils puissent tenir tête aux Vietnamiens. A chaque gouverneur de province khmer fut adjoint un mandarin militaire annamite chargé de contrôler tout à la fois son administration et de prévenir toute activité subversive. Pour faciliter cette politique, Truong Minh Giang décréta une réforme administrative du Cambodge qui ramenait le nombre des provinces de cinquante six à trente-trois. Encore une fois, Adhémard Leclère est le seul auteur à témoigner de cette réforme, et rapporte le nom des nouvelles provinces :
Les trente-trois nouvelles provinces devaient recevoir les noms suivants :
Nam-biang ou Trãn tay devait dorénavant être le nom de Phnom Penh.
Les noms qui suivent devaient être ceux des provinces nouvelles. J'ai rarement pu les identifier avec les provinces qui devaient respectivement les recevoir :

- Than thu ;
- Tam-dôn ;
- Tuy-lap ;
- Banam, pour Pak-nam, qui devint plus tard Peam-méen-chey ;
- Balai, pour Baray ;
- Binh-thien, pour Koh-anthien ou Koh Anchien ;
- Kha-bat ;
- La-vên, pour Prey-vêng (?) ;
- Hai-dong, pour Envichey ;
- Kim-truong ;
- Chau-trung ;
- Caâu ;
- Vang-van ;
- Ha-binh ;
- Trung-loi ;
- San-phu, probablement pour Sâmbaur ;
- San-bôc, pour Sâmboc ;
- Tâm-vu ;
- Khai-biên ;
- Hai-tay ;
- Kha-sum, pour Kôh-Sutin ;
- Thé-lap ;
- Tâm-cai ;
- Lô-Viêt, pour Lovêk ;
- Long-tôn, pour Sâmrong-tong ;
- Quang-biên ;
- Hoa-gi (?) ;
- Chan-tai ;
- Y-gi (?) ;
- Chan-thanh ;
- Mât-luât ;
- Om-ân ;

Les deux districts sauvages devaient recevoir les noms de : Canche, pour Krachs (Kratié), Câlinerie pour Kanara. (Adhémard Leclère)

L'armée d'occupation vietnamienne fut également réorganisée. Elle fut répartie en vingt-six divisions dont l'une était chargée de l'entretien et du dressage des éléphants de guerre.
Pour parfaire son programme, Truong Minh Giang fit venir des civils afin d'organiser des colonies d'implantations vietnamiennes. La présence vietnamienne civile au Cambodge, déjà ancienne puisque des commerçants étaient déjà installés en 1835 à Phnom Penh, résidant à bord d'embarcations ou même à terre, changeait de visage.
Quant à la population khmère, elle fut tout entière mobilisée. Une partie des hommes était enrôlée comme supplétifs dans l'armée, l'autre était mise à la corvée aux travaux des champs afin de subvenir aux réquisitions de l'armée d'occupation. En outre, la population de la région sud-ouest du pays fut enrôlée pour la construction d'une route stratégique nommée par les Khmers Plou Yuon ce qui signifie « la route annamite ». Cette route devait relier la capitale Phnom Penh à Banteay Meas en passant par la province de Treang. Des postes, distants les uns des autres d'une vingtaine de kilomètres, s'échelonnaient le long du parcours ; ils devaient servir de relais pour le service du courrier qui était assuré quotidiennement par trois hommes, pris à tour de rôle dans les villages voisins. En dépit de leur caractère parfois utile, ces entreprises vietnamiennes au Cambodge ne firent que nourrir le mécontentement de la population.

La vietnamisation touchait tous les domaines. Aux réformes administratives et militaires s'ajoutait une vietnamisation active de la vie quotidienne. Les mandarins khmers d'un certain rang, s'ils voulaient conserver leur fonction, étaient contraints de porter la même tenue que les fonctionnaires annamites. Lors des jours fériés du calendrier vietnamien, ils devaient se rendre à la pagode de Chruoy Changva pour saluer l'effigie du roi Minh Mang. La politique conduite par Truong Minh Giang au nom du gouvernement vietnamien perdit peu à peu toute mesure. Il exigea, en effet, que les Khmers abandonnent la religion bouddhique pour adopter la sienne. Il ordonna à cette fin que soient profanés tous les lieux saints du culte des Khmers : les arbres de la Bodhi furent abattus, des stupas furent détruits et des statues de bouddha brisées et jetées dans le fleuve.
En plus de la férule brutale des occupants, une telle politique d'oppression ne pouvait conduire qu'à des soulèvements. En 1836, dans la province de Kompong Svay, eut lieu la révolte de Nong. En 1837, les frères Chou et Chey qui étaient probablement en charge de la province de Kompong Som, refusèrent d'obtempérer aux ordres des Vietnamiens et décidèrent de prendre les armes.

A cette nouvelle, Truong Kun fit partir de Phnom Penh, une colonne composée de soldats khmers, encadrée par des Vietnamiens, qui se dirigea vers le lieu de la rébellion. Mesurant l'insuffisance des armes et des munitions dont ils disposaient pour faire face à leurs ennemis, les frères Chou et Chey prirent le parti de rompre le combat et de rechercher refuge, par la mer, au près de la cour de Siam.

3º/ L'arrestation des princes Ang Im et Ang Duong

Privée de tout recours, découragée par la trahison de certains des siens, écrasée par la puissance méthodique de la politique de l'occupant, la nation khmère était sur le point de mourir. Son dernier espoir était une famille royale dont le peuple n'avait vu jusqu'ici que les luttes intestines, la désunion la plus égoïste et la plus lâche.
C'est pourtant de cette famille que le peuple attendait son salut. Il fallait donc au général Truong Kun briser ce dernier ressort.
Spéculant sans crainte sur l'ambition et la jalousie qui ne manqueraient pas de faire s'affronter encore des princes khmers, il résolut de faire disparaître les deux derniers princes susceptibles de prétendre au trône.

Vers la fin de 1839, pour ce faire, le général vietnamien utilisa la plus simple des ruses. Il dépêcha secrètement auprès de Ang Im trois émissaires vietnamiens chargés d'un message dont la teneur était la suivante :
"L'empereur d'Annam m'a envoyé comme chef d'armée, chargé d'assurer le bon fonctionnement du royaume. Il n'a aucunement l'intention de s'emparer du trône du Cambodge. Il a souhaité qu'un roi khmer règne selon la tradition, afin que la paix s'installe dans tout le royaume. Sa majesté Outey Reachéa (Ang Chan), après sa mort, n'a pas laissé d'héritier (mâle). C'est ainsi que j'ai jugé qu'il était raisonnable que la princesse Ang Mei, votre nièce, occupât provisoirement le trône.
"Quelque temps après cela, j'ai appris avec beaucoup de joie que votre Altesse royale, avec l'autorisation de la cour de Siam, est venue s'installer à Battambang. Il serait souhaitable qu'elle vint jusqu'au pays de Kampuchéa. Les dignitaires khmers et moi-même, aiderions votre altesse à se rendre jusqu'à la capitale de Oudong pour s'asseoir sur le trône. Les membres de la famille royale et le peuple tout entier seraient désormais remplis de joie. » (P. 266)

Le prince Ang Im fut assez naïf pour être séduit par ce message et pour croire à la sincérité de Trung Kun, il se prit à rêver de la couronne.
Les émissaires de Truong Kun prirent congé du prince et prirent tout aussi discrètement la route de Mongkolborei où résidait Ang Duong. Ils lui tinrent le même discours qu'à Ang Im, mais avec moins de succès car le prince comprit immédiatement le jeu des Vietnamiens. Devant la méfiance de prince Ang Duong, les émissaires se retirèrent prudemment. (Notre précision : Ang Duong avait comme conseiller, son ancien précepteur le savant et sage Bandit Nong, celui qui nous a laissé les Chroniques Royales les plus anciennes connues)
De son côté, Ang Im préparait activement son retour au Cambodge. Craignant, comme de juste, que le prince Ang Duong ne devienne son concurrent, il prit la précaution de dénoncer, dans un message au roi Rama III (Notre précision : frère aîné de Rama IV connu aussi sous le nom de Mongkut. Ce dernier était le père de Chulalongkorn, la collusion entre le prince son frère, et les Vietnamiens, dans le but de s'emparer de la couronne !
A peine eut-il pris connaissance de ce message que le roi de Siam envoya deux mandarins à Mongkolborei pour se saisir de la personne du prince Ang Duong et pour le ramener à Bangkok en résidence sur veillée.
Il ne restait plus à Ang Im qu'à trouver un prétexte pour quitter sa résidence. Il fit part au gouverneur de la province ; Preah Norintheathipadei, de son désir d'aller présider une cérémonie de Kathin à la pagode de Phneat, à proximité de la ville de Sisophon. Le gouverneur ne fit point obstacle à ce projet, mais par précaution, il dépêcha une petite troupe à Bakprea, au confluent de la rivière Sangkè et celle de Sisophon, point de passage obligé pour toutes les embarcations en route vers le Grand Lac. Parvenue à cette jonction, la barque princière se dirigea, comme avait pu le craindre le gouverneur vers le Tonlé Sap au lieu d'aller vers Phneat. Le prince fut aussitôt arrêté par les soldats et reconduit à Battambang.

Inquiet de sa situation, rendue précaire par ses projets, et ayant tout à redouter de la cour de Bangkok, Ang Im recourut à une ruse audacieuse. Il suggéra au gouverneur que le roi Rama III, apprenant son escapade, voudrait tout connaître sur les émissaires de l'Annam qui l'avaient contacté. Preah Norintheathipadei fut sensible à cette idée et à la suggestion qui lui était faite de se mettre en route afin d'interroger ces émissaires personnellement. Il partit donc pour Mongkolborei avec trois cents hommes à la recherche des envoyés vietnamiens. Mettant à profit cette absence, Ang Im se rendit maître de l'adjoint du gouverneur et prit la fuite par la rivière Sangkè. Il emmenait avec lui sa mère, la Mneang Ros, le gouverneur adjoint, quelques hauts mandarins et une partie de la population.
Apprenant cette évasion, Preah Norin cacha sa colère car parmi les soldats qui l'accompagnaient se trouvaient sans doute quelques soldats fidèles à la personne du prince. Il feignit même d'éprouver quelque sympathie pour l'entreprise d'Ang Im, disant à qui voulait l'entendre qu'il aurait volontiers suivi le prince au Cambodge. Constatant que les soldats khmers n'étaient plus sur leurs gardes, il fit signe à ses proches de les maîtriser et prit avec sa troupe, le chemin de retour, espérant encore intercepter le prince aux abords de Battambang. C'était trop tard. Les fugitifs étaient partis et ils avaient gagné rapidement la province de Pursat. On ne sait rien du sort qui fut réservé au gouverneur Preah Norintheathipadei.
Le général vietnamien responsable de la citadelle de Pursat, An Phou, ne perdit pas un instant pour faire conduire le prince et sa suite à Phnom Penh. Le général Truong Kun ordonna que la barque royale jette l'ancre à Chruoy Changva et que le prince descende seul à terre pour être interrogé. Puis il fit massacrer froidement les dignitaires d'origine khmère de la suite d'Ang Im et arrêter le prince pour l'envoyer à Hué. Ang Im ne réalisa qu'à cet instant qu'il avait été dupé. Il implora le général Truong Kun de lui permettre de rendre visite à ses nièces qui étaient pratiquement en résidence surveillée à Po Preah Bat. Selon l'auteur de Robar Khsat, cette requête mit le général vietnamien en fureur. Il insulta le prince, lui fit subir des supplices, puis il l'expédia à Hué en passant par Saïgon, avec le malheureux adjoint du gouverneur de Battambang.
La perfidie du général Truong Kun ne se limita pas à cette action. Pour se mettre en valeur aux yeux du roi Minh Mang, il lui adressa une lettre qu'il prit le soin de faire contresigner par trois hauts dignitaires de la cour de la reine (Ang Mei). Dans cette lettre, Truong Kun racontait que le prince avait été fait prisonnier par l'armée vietnamienne au cours d'un combat. Etonné par ce récit, Minh Mang fit comparaître Ang Im dans la salle d'audience et il le fit interroger. Ang Im nia catégoriquement la version de la lettre (de Truong Kun), et il affirma en outre que son retour au Cambodge par Pursat n'était que la conséquence de sa nostalgie du pays khmer. Il prit à témoin le gouverneur adjoint de Battambang. Minh Mang ne se satisfit point de l'explication du prince. Il fit comparaître les trois cosignataires de la lettre de Truong Kun. Cela se passait en avril 1840 à la cour de Hué. Les trois dignitaires avouèrent qu'ils n'avaient apposé leur cachet que sous la menace du général Truong Kun. Les ayant entendus, au lieu de condamner son représentant, le roi Minh Mang ordonna qu'ils fussent jetés dans la prison de Poulo Condore (273), les accusant d'avoir manqué de loyauté envers leur roi (274). Le prince Ang Im fut reconduit sous bonne escorte à Saïgon.

A la cour de Siam, le départ du prince Ang Im et le transfert d'une partie de la population, avaient provoqué l'indignation du roi Rama III. Il accusa le prince Ang Duong de complicité avec son frère et l'assigna à résidence dans l'enceinte même de son palais. Rama III ne se résolvait pas à voir la cour de Hué devenir l'unique maître de royaume khmer. Il ordonna que fût mis sur pieds à Battambang une équipe de dignitaires chargée de recueillir des renseignements sur le Cambodge, aux ordres du général Padin Dechéa. Celui-ci devait sa réputation à l'exploit qu'avait été, en 1828 la prise de la ville de Veang Chan - où régnait Chao Anu - et la déportation massive de Laotiens au Siam.
La guerre avec l'Annam ne devait être décidée que si le prince Ang Im était conduit à Hué. Dans une telle hypothèse, le trône du Cambodge serait confié à Ang Duong. Pour recueillir des renseignements sur le sort d'Ang Im, deux hommes - nommés respectivement Yâng et Kong - prirent la route de Kompong Svay et de Baray. Ils revinrent à Battambang pour informer Padin Déchea, qui rendit compte à son tour au roi Rama III. Sur la fois de ces renseignements, le roi fit libérer le prince Ang Duong et l’envoya rejoindre le général Padin. La mobilisation générale fut décrétée dans tout le pays. Les Siamois étaient prêts à entrer de nouveau au Cambodge.

 IV – L’arrestation des quatre princesses
(…)

L’arrestation des princesses émut profondément la population khmère. Spontanément se réunit ça et là dans le royaume autour de notables locaux pour assaillir les Vietnamiens. Ceux-ci organisèrent l »arrestation de ceux qui pourraient être chef de révolte. Citons comme le capture de l’Oknga Outeythiréach Hing, gouverneur de la province de Sâmrong Tong. Our l’arrêter, le général Truong Kun voulut employer la ruse et l’invita à venir à la citadelle de Phnom Penh. Hing qui décelait sans peine la duplicité du Vietnamien, refusa de tomber dans un piège aussi grossier. Il prit son cheval, réunit ses hommes, souleva ses compatriotes et attaqua les soldats vietnamiens de la province. Afin de contre-attaquer, le général vietnamien voulut utiliser habilement des soldats khmers contre des Khmers de Sâmrong  Tong. Il envoya donc ceux de l’Okgna Yomarèach, qui était emprisonné à Poulo Condore. Mais lorsqu’ils rencontrèrent ceux de Sâmrong Tong, ces soldats firent demi-tour à la grande surprise du général (vietnamien). Il envoya un officier en mission de renseignement dans la province de Kompong Chhnaing. Les troupes vietnamiennes éprouvaient dans cette province les mêmes difficultés que dans la province de Sâmrong Tong. Il sembla à Trung Kun que toutes ses garnisons étaient attaquées et il voulut se replier sur Saigon. Mais à Kien Svay, il tomba dans une embuscade tendue par le Thomméa Pok (Le Thomméa Pok était chargé de défendre la palais de Po Preah Bat après le départ des quatre princesses. Le terme Thomméa pourrait être l’abrégé de Thomméa Dêcho qui était le titre du gouverneur de Baphuon.)  Le général (vietnamien) fut obligé de rebrousser chemin pour trouver refuge dans le fortin de Phnom Penh.

Un tel nombre d’attaques et l’initiative qui demeurait aux Khmers, avaient vraiment surpris les Vietnamiens. Comme il était impossible d’espérer des renforts de Saigon, le général Trung Kun se vit contraint de résister avec les seules forces dont il disposait, tant en hommes qu’en matériel. Il fit construire dix grandes barques pour monter une opération en direction de Kien Svay. Une partie des troupes dont il disposait reçut mission de traquer les paysans khmers qui s’étaient enfuis dans les forêts et de les enrôler de force dans l’armée (vietnamienne). L’autre partie devait reprendre l’offensive contre les soldats du Thomméa (gouverneur de Baphnom) Pok.
Durant toute une matinée, les Vietnamiens firent pleuvoir une grêle d’obus sur la pagode de Kien Svay Khnong où s’était concentrée l’armée khmère. Les Vietnamiens tentèrent de s’approcher de la rive, mais Pok réussit à les repousser. Trung Kun fut même contraint de se replier sur Phnom Penh où il fut poursuivi et harcelé par les troupes de l’Oknga Réachdêcheah. Mais ce dernier ne parvenant pas à venir à bout des Vietnamiens, décrocha afin de renforcer son armée en recrutant des soldats à Baphnom. Il devait cependant y tomber dans une embuscade vietnamienne. L’Okgna Réachdêcheah rejoignit finalement l’armée de Pok avec ses troupes afin de défendre le palais de Po Preah Bat.

Exaspéré par la série de petites défaites qu’il venait d’essuyer, le général Truong Kun résolu d’en finir avec la menace de Pok. Il réquisitionna toutes les embarcations disponibles et rassembla tous les soldats vietnamiens disponibles pour déclencher enfin, une attaque d’envergure et mettre en déroute l’armée conjointe de Pok et de l’Oknga Réachdêcheah.

(p. 97) : La bataille d’Oudong.

Après trois jours d’attente, les Vietnamiens firent courir le bruit qu’ils passeraient à l’attaque dès l’aube. Les soldats khmers et siamois reçurent en conséquence l’ordre de se tenir prêt à repousser cette attaque. Les troupes vietnamiennes s’avancèrent effectivement à la faveur de la nuit pour prendre position en face de la première ligne de défense khmère, placée sous les ordres d’un officier du nom de Lompèng Chey. Avec beaucoup de maîtrise, ce dernier ordonna qu’on ne fit aucun mouvement mais que l’on fût prêt à rencontrer l’ennemi avant le lever du jour. Aux premières lueurs de l’aube, les soldats vietnamiens étaient déjà nombreux en position. Leurs canons tirèrent une grêle de projectiles sur les troupes siamoises et khmères. Lompèng Chey pénétra avec un grand sang-froid, à la tête d’un détachement armé de lances de bambou, dans le camp ennemi pour transpercer la lèvre inférieure des éléphants. Effarouchés par cette manœuvre, la cinquantaine d’animaux semèrent le désordre, piétinant les soldats vietnamiens. Les armées siamoise et khmère prirent alors l’offensive, surprenant les Vietnamiens, et les contraignant à se retirer vaincus dans la panique. Quelques jours après ce cuisant échec, le chef de l’armée vietnamienne proposa un cessez-le feu qui ne fut respecté d’aucune part. Il se replia ensuite, avec le reste de son armée, à Phnom Penh.
(…)

Avec l’aide de l’armée siamoise, les Khmers poursuivirent les Vietnamiens jusqu’à la province de Moat Chrouk où s’installèrent les membres de la famille royale khmère. Libéré des Vietnamiens, le peuple khmer se sentit revivre et vit dans le prince Ang Duong son libérateur.

(p. 99) (La seule offensive siamoise, elle est avortée)

L’avènement d’Ang Duong en 1843 constituait pour le Siam un succès sensible dans la tentative d’hégémonie qu’il développait au Cambodge. Le roi Rama III estima que la disparition d’Ang Im constituait une circonstance favorable pour accroître encore sa mainmise sur le Cambodge. Les Vietnamiens ne disposaient plus d’atouts majeurs, selon lui. Ils ne conservaient que des princesses khmères dint l’intérêt politique devenait mineur. En outre le roi Thieu Tri semblait faible et irrésolu, présentant tous les défauts de son père, sans ses qualités. Le roi rama III crut pouvoir profiter de l’occasion pour lancer une offensive contre le Vietnam par mer et par terre. La flotte siamoise aux ordres d’un frère du roi, le Chaovéa Issaret Vang San, fit donc voile vers Bantéay Meas. Les troupes qu’elle transportait, débarquèrent dans la province de Kampot. De son côté, le prince Ang Duong, accompagné par le Preah Ang Kèv Ma, conduisait une armée khméro-siamoise vers la province de Treang, prenant position à proximité du canal de Vinh Té.
La première attaque contre les forces vietnamiennes fut lancée par le Chaovéa Issaret. Au bout de deux jours d’un combat indécis, le commandant de la flotte siamoise ordonna le repli à ses soldats, sans prendre d’avertir Ang Duong, et il s’en retourna à Bangkok. Cette manœuvre révélait le manque de coordination au sein de la coalition khméro-siamoise. Elle eut surtout des conséquences fâcheuses sur le front de l’armée khmère, qui fut attaquée par les Vietnamiens dans la nuit qui suivit la défection des troupes siamoises. Cette attaque brusquée provoqua la panique chez les Khmers. De nombreux soldats furent tués ainsi qu’un grand nombre d’officiers au nombre desquels le Preah Ang Kêv Ma, frère de Mnéang Tép, l’Okna Moha Sêna Tân et le fils de l’Okna Yomaréache siamois, Séng. Ne pouvant résister, le roi Ang Duong se replia, avec les débris de son armée, sur Oudong. Puis il retourna à Khleang Sbêk où résidait le général Padin Dêchea.

Le plus intéressant est l’opinion d’un historien vietnamien  nationaliste

« Le Cambodge ne resta pas en paix. Des troubles civils y ramenèrent Siamois et Vietnamiens appelés par l’un ou l’autre des princes khmers qui s’affrontaient. Pour prix de leur « aide », les Siamois occupèrent en 1814 des provinces de Tonlé Repou, Stung Treng et Mlu Prey, tandis que Minh-mang, en 1834, chercha même à annexer le pays. Il en fit la province de Trân-tây thang, divisé, divisé en 32 phu et 2 huyên. La politique d’assimilation commença aussitôt : nomination des fonctionnaires civils et militaires, ouverture d’écoles vietnamiennes, contrôle du commerce, cadastre des terres, levée d’impôts sur les inscrits, les rizières, les barques et les produits locaux. Mais les abus auxquels se livrèrent les mandarins (vietnamiens) dressèrent le Cambodge contre l’envahisseur. Le frère d’Ang Chan, Ang Duong (Ong Dôn) prit la tête de la résistance avec l’aide du Siam, et mena une dure guérilla. Après la mort de Minh-mang, Thiêu-tri, renonçant au Trân-tây thang, retira ses troupes (1841). Cette brève d’annexion du Cambodge, coûteuse en hommes et en matériel, se soldait ainsi par un échec. Mais la décision de Thiêu-tri était sage. Cependant, pour avoir la paix, Ang Duong se reconnut vassal de ses deux voisins et, en 1847, reçut, dans sa capitale leur double investiture »[1]
Remarquons que Lê Thanh Khoi ignore totalement les aides militaires siamoises ! Il est vrai que devant les forces de la cour de Huê, il n’y a, principalement, que des forces Cambodgiennes, utilisant principalement les armes blanches et les tactiques de la guérilla, soulignées par Lê Thanh Khoi. L’aide siamoise consiste principalement à la présence du vieux général Bodin !

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Ci-dessus sont les textes qui se rapportent à la guerre pour libérer le Cambodge de la domination de la cour de Huê, menée par Ang Duong. L’opinion la plus proche de la réalité est celle justement de l’historien vietnamien Lê Thanh Khôi. C’est la guerre menée fondamentalement par les Cambodgiens qui a obligé la cour de Huê à retirer ses troupes du Cambodge.
En ce qui concerne la double vassalité, elle ne se réduit pas dans la signature des traités, mais dans la réalité des faits qui suit, dans la réalité du rapport des forces en présence après la signature du traité. D’abord Huê et Bangkok sont obligés de satisfaire les conditions exigées par Ang Duong. N’est-elle pas une preuve de force de la part d’Ang Doung.
D’autre part sur le plan international les Anglais commencent la conquête de la Birmanie en 1824. En 1826 ils arrivent aux frontières siamoises. D’autre part les Anglais commencent la Première Guerre de l’Opium en 1840 avec la création de sa base à Hong Kong. La cour de Bangkok et celle de Huê sont parfaitement au courant de ces évènements qui se déroulent près de leurs frontières. Ce qui fait que Ang Duong peut entreprendre toutes les réformes qu’il veut. Lire certains détails dans la thèse de Khin Sok, en particulier organiser une armée bien équipée. Pour pouvoir commercer avec l’étranger, en particulier avec Singapour, Ang Duong utilise le semi-port de Kampot qui sera fermé au profit de Saigon durant la période coloniale. Ang Duong frappe monnaies en argent, avec l’image de Hang, oiseau légendaire sur une face. En perçant un trou sue le bord de la monnaie sur la tête du Hang, les Cambodgiens, surtout les enfants, la porte en collier les premières monnaies de notre histoire. Malheureusement pour communiquer avec le monde européen, Ang Duong est obligé d’avoir recoure à des étrangers, comme pour communiquer avec Napoléon III par exemple. C’est la conséquence de notre isolement, dû à notre manque de port. Le premier véritable port ne sera créé qu’en 1968 à Sihanoukville, avec à côté une raffinerie de pétrole. A ce moment le Cambodge ne possédait pas de pétrole, mais une raffinerie. De nos jours, nous avons du pétrole, mais pas de raffinerie. Curieux situations paradoxales ?

Un point très important est la reconnaissance de Ang Duong envers les chefs de guerre qui lui permettaient de vaincre les troupes annamites. Dans ce but nous avons interrogé beaucoup de Cambodgiens autour de nous. Nous apprenons qu’avant 1970, certaines familles possédaient un sabre utilisé par leur ancêtre qui ont combattu sous les ordres de Ang Duong. Ces sabres ont le fourreau en argent et sur la lame des inscriptions magiques qui sont sensées protéger ceux qui l’utilisent des blessures et même des balles d’armes à feu. Avant 1970, les plus âgées de la famille allaient, tous les ans au Phchiom Ben, nettoyer le stupa à Oudong, sur les Monts Cheteureus, où sont inhumées les cendres de leur ancêtre, puis organiser une cérémonie religieuse. Il est donc très important de tout faire pour, au moins, préserver ce site où nos rois ont résidé pendant des siècles. Au Mont Cheteureus, il y avait plusieurs pagodes dont au moins une très bien décorée. Il est probable que les cendres de la famille d’Ang Duong et des personnalités qui l’ont servi sont inhumées dans des stupas à côté des nombreuses pagodes des Monts Cheteureus.
La vénération de nos compatriotes pour les « daves » plus proches des sabres, mais appelés par les Français : épées, est notée par Alain Forest. Notons que la lame de ces « daves sont en acier produit à Phnom Dek. George Groslier dit que cet acier est de la meilleure qualité de toute la presqu’île Indochinoise depuis le début de l’ère chrétienne.

La Révolte de 1916 :

 « En février, les habitants de ces dernières provinces, « mettant en avant et comme prétexte à leur mécontentement les exactions de certaines autorités indigènes, mais, en réalité, obéissant à la suggestion d’influences non encore bien définies, descendirent au nombre d’environ 400 vers Kompong Thom dans l’intention, disaient-ils d’aller à Phnom Penh présenter leurs doléances au roi. Le 16 février (1916) au matin, leur bande était signalée à quelques kilomètres du poste. Un fonctionnaire européen étant allé les trouver et parlementer avec eux (l’interprète était-il Cambodgien ?) dans la plaine de Chba Sla, obtint, après une heure de pourparlers, que la colonne s’arrêterait au gué de Pranhâchy et attendrait le Résident à la pagode de ce village, à 3 heures. Le rendez-vous ayant été exact des deux côtés et le Résident étant accompagné de miliciens (sont-ils des Cambodgiens ?) en armes, les mécontentements finirent après plusieurs heures de conversation par admettre de renoncer à continuer leur marche sur Phnom Penh. Ils reprirent en effet le soir même le chemin de leurs villages ». Le Résident de Kompong Thom qui narre ces événements, rapporte aussi ce fait intéressant : « Il existe au village de Prasath, à deux kilomètres au sud-ouest de Barai, 2 épées sacrées (Prah Khan) qui sont tenues en grande vénération. Lors des mouvements de 1916, le bruit ayant couru que les épées de Bari avait été enlevées, la cour de Phnom Penh fut aussitôt en émoi et des télégrammes officiels transmis demandant si cette nouvelle était malheureusement exacte […]. Chaque année d’ailleurs, ces épées sont portées cérémonieusement à Phnom Penh et présentées à date fixe à Sa Majesté ». (M. Dufosse, monographie de la circonscription résidentielle de Kompong Thom, Saigon)[2].
Notons qu’au Cambodge, lors d’un mariage traditionnel, il y a la danse du « Dave » dont les paroles sont : « Dave Oeille, Dave Ek, Dave Loâ Chamlek, Dave Dek Kompong Svay, Dave Samrap Kapear Cheat, Kapear Kroursar. » (Kompong Svay est dans la province de Kompong Thom proche du Phnom Dek). Le mariage cambodgien est un des rares à comporter la présence d’un « dave » devant les futurs époux.
D’autre part Ang Duong a nommé un de ses valeureux chefs de guerre, le gouverneur Pok (ou Poc) Kralahom (Ministre de la marine). Le frère cadet de Poc, Sao se trouvait dans la même prison que la princesse Mom, seule fille de la première femme de Ang Duong : Ong. D’après le livre de Justin Corfield « The Royal Family of Cambodia », éd. The Khmer Language and Culture, Melbourne, Australia, 1993, page 23 : « Princess Mom (1821 - ) : She was captured by the Vietnamese in about 1840 and imprisoned on the island of Poulo Condore. There She met a Chinese man Sao who was also imprisonned there, and fell in love with him. Ang Duong, under pressure from moneang Pen, mother of Norodom, agreed to their marriage and Sao a Minister, died in1877, well respected by all those who knew him. His widow died several years later. », d’après d’autres sources ils seraient emprisonnés à Phnom Penh.

Poc et Sao sont frères de la province de Battambang, des intellectuels Sino-cambodgiens. Nous avons vu plus haut les faits d’arme du Gouverneur Poc. Ang Duong a d’abord désigné Poc comme Kralahom (Ministre de la Marine). Puis il le nomme Ackeak Mohaséna  (Premier Ministre) et Sao prend sa place de Kralahom. Norodom Sihanouk est un des descendants de Sao et Mom.
Poc sera marié à la princesse Ou, deuxième fille de la deuxième femme de Ang Duong : Neak Moneang Ev (ou Eu). Parmi les descendants de Poc, il y a Poc Vanne mariée au Prince Sisowath Monireth, oncle du roi Norodom Sihanouk.
Ang Duong choisit l’un des quatre titres pour les princes et princesses. Certains princes et princesses ont le rang de Samdach (une façon d’anoblir). En 1848, Ang Duong élève au titre de Samdach deux de ses filles, parce que mariée à un homme issu du peuple, une princesse perd son titre. En l’anoblissant Ang Duong anoblit son mari. Il s’agit des princesses Trâmol et Ou (mariée à Poc) qui portèrent respectivement les titres de Samdach Preah Thida Preah Moha Khsâtrei et Samdach Preah Thida Preah Srei Varasat. (Kin Sok p. 187 en note.). Ce sont des titres donnés à des épouses du roi (Khin Sok, thèse, page 187) A ce titre, lors de leur mariage, elles ont droit à des cérémonies particulières qui leurs sont réservées exclusivement (thèse de Khin Sok, p. 187). Il n’existe pas au Cambodge d’autre moyen que celui exposé ci-dessus pour entrer dans la noblesse. En France Napoléon a créé la Noblesse d’Empire, héréditaire pour les Maréchaux qui se sont distingués dans les combats. C’est une sorte de noblesse d’épée de l’ancien temps. Ils sont maintenant classés comme la Noblesse d’Empire. Au Cambodge les titres des personnes anoblies, ne sont pas héréditaires comme en France.

La famille Poc choisit Vat Unnalom, comme pagode familiale, c’est la pagode la plus ancienne de Phnom Penh. Elle est fondée au XVè siècle. Le nom de cette pagode vient du stupa situé au Sud-Ouest de la pagode qui daterait de la période angkorienne et toujours vénéré. Le nom Unnalom vient de la relique que ce stupa aurait contenu : un poil (Lomâ), de la « touffe qui marquait le front du Bouddha entre les sourcils (Unnâ) » (Coedes 1913), relique qui a été transportée à Oudong en 1909. (Guide Archéologique du Cambodge, tome 1 « Phnom Penh et les Provinces Méridionales, éd. Reyum 2009, p. 12).
Ang Duong n’a pas oublié les autres valeureux chefs de guerre qui lui permettent de vaincre l’armée de la cour de Hué. Il les nomme chefs de provinces et de districts. Ce qui lui a permis d’avoir un pays pacifié pour la première fois. Il réorganise le pays, organise une armée avec des armes à feu, développe l’économie et entreprend de faire du commerce avec le monde extérieur par le port de Kampot. C’est un commerce prospère. Dans le texte que nous citons plus loin, bien après l’arrivée des Français, durant les années 1870, il y avait 60 bateaux au large de Kampot.

Ang Duong est notre dernier grand roi dans un pays indépendant et prospère. Il avait comme précepteur le savant Bandit Nong, celui qui nous a laissé les plus anciennes Chroniques Royales. Il est le dernier roi à nous laisser ne nombreux écrits en langue nationale.

Les cendres des princes, princesses et personnalités durant le règne d’Ang Duong sont dans des stupas à Oudong, sur les flancs des monts Cheteureus, avec de très belles pagodes, maintenant probablement laissées en abandon, hélas !

Ce qu’il y a d’intéressant est le fait que Ang Duong ait pu envoyer une armée pour aider le soulèvement des Cambodgiens du Kampuchea Krom contre les Annamites pour aider les Français. Mak Phoeun a écrit un article sur ce sujet d’après les Chroniques Royales (nous diffusons en fichier joint cet article). Ci-dessous quelques extraits :

D’après Mak Phoeun, dans son article « La frontière entre la Cambodge et le Vietnam du XVIIè siècle à l’instauration du protectorat français, présentée à travers les chroniques royales khmères » dans « Les Frontières du Vietnam », sous la direction de P.B. Lafont, Ed. L’Harmattan, Paris 1989, p. 136 à 155, l’occupation et l’installation des Français en Cochinchine s’est appuyée en grande partie par une armée cambodgienne, commandée par le général Kaep, envoyée dès 1958 par le roi Ang Duong et avec la complicité active des autorités et de la population cambodgienne locale. (En fichier joint le texte de Mak Phoeun)

« En 1858, alors que les Français étaient en train d’opérer en pays vietnamien, le gouverneur de la partie khmère de Peam (Hatien), l’Ukana Rajasetthi Kaep, alla reprendre, sur ordre du roi Ang Duong, la province de Treang Troey Thbaung (viet. Tinh-Biên), et aussi attaquer les provinces de Bassac, de Preah Trapeang, de Krâmuon Sar, et de Moat Chrouk. Après l’accession au pouvoir en 1860 du roi Norodom, les chroniques royales khmères notent que ce monarque fit de ce même gouverneur son ministre de la Guerre et lui confia de nouveau le commandement des troupes opérant au sud du canal de Prêk Chik, (le nom exact en khmer du site de Tinh-Biên est Kompong Krâbau. En 1869, le géologue M. A. Petiton fait état encore du « fort cambodgien de Tinh-Biên » et réclame un « guide parlant cambodgien » pour pouvoir travailler dans ce pays (M. A. Petiton, p.31 – 32)). Dans une note rédigée par Doudart de Lagrée, celui-ci indique que le gouverneur Kaep, à la suite d’hostilités entre Khmers et Vietnamiens au sujet Chams et des Malais, poursuivit les Vietnamiens, Chams et Malais jusque dans Treang Troey Thbaung, s’y maintint, et envoya régulièrement le tribut à la cour d’Oudong « sans objection de la part des Annamites », et cela jusqu’à l’arrivée des Français, ce qui revient à dire que depuis le événements de 1858 les Cambodgiens étaient redevenus maîtres d’une partie de leurs anciens territoires situés au sud du canal de Prêk Chik, notamment de cette province de Treang Troey Thbaung qui, partant de la partie centrale du canal de Prêk Chik et englobant la région de Svay Tong ( Tritôn), s’étendait au moins jusqu’à Phnom Thom (viet. Nui-sâp) au pied duquel coule le canal de Krâmoun Sar.[3]

D’autres documents confirment qu’à l’arrivée des Français, les provinces de Treang Troey Thbaung, de Krâmuon Sar, de Hatien entre autres, étaient administrées par la cour d’Oudong et dont les habitants sont majoritairement des Cambodgiens. Les Cambodgiens ont aidé les Français à s’implanter au Kampuchea Krom. Nous souhaitons que nos compatriotes lisent attentivement l'article de Mak Phoeun, et fassent des recherches plus approfondies sur ce très important sujet.
Dans les articles « L’Insurrection Nationale de 1885 – 186 » parus dans Etudes Cambodgiennes, Adhémard Leclère confirme que Peam est territoire cambodgien. Leclère ignorait que Peam est le nom cambodgien de Hatien. Plus bas, Etienne Denis écrit que pour la Société Denis Frère, la première société installée au moment de la création du port de Saigon, encore en activité à Bordeaux, Hatien, dans les années 1870, faisait encore partie du royaume du Cambodge.

Ce fait est confirmé par Milton E. Osborne dans « The French Presence in Cochinchina and Cambodia », éd. White Lotus Press, Bangkok 1997, pages 202, 203.
“Le Myre de Vilers saw a better way to attack the problem, and his recommendation point to one of the significant accompaniments of the first twenty years of French rule in Cambodia. It was in France’s interest, he noted, to give even greater encouragement to immigration of Vietnamese into Cambodia. The continual seepage of Vietnamese into the regions about Ha-Tien and Chau-Doc had transformed those areas into Vietnamese territory. The same could happen throughout Cambodia. No precise figures exist for the Vietnamese immigration into Cambodia that took place in the nineteenth century, following the establishment of the protectorate. There had been earlier settlement during the grim days of the thirties and forties, when a Vietnamese general ruled in Phnom Penh, and certain commercial endeavors had already become Vietnamese monopolies before the French arrival. The biggest fishing enterprises on the Great Lake, for instance, were in Vietnamese hands (Report from Leclère to Resident Superior of Cambodia, Phnom Penh 14 June 1901). The Catholic missionaries noted the spread of Vietnamese settlement along the Mekong as far as north as Chhlong (Lettre commune, N° 14 Paris, 31 décembre 1883).

Nothing would be simpler, Le Myre de Vilers argued, than to profit from this immigration into Cambodia. Indeed, it was in France’s fundamental interest to do so. He believed that within fifty years the Vietnamese would constitute the most important element of Cambodia’s population. When that situation had been achieved, Cambodia, and the Cambodians, would no longer present a problem.
“We will lose our time in trying to galvanize this race that a fatal law seems to have condemned to disappear. In intervening in its administration, we would create innumerable difficulties without obtaining any result, for we would have most grave social issues.” [4]
 Ainsi Milton E. Osborne confirme que les provinces de Ha-Tien et Chau-Doc étaient encore à majorité cambodgienne en 1883. Notons aussi que tous les documents cités par Osborne, concernant la présence des Vietnamiens au Cambodge, sont datés après l’arrivée des Français dans la région en 1860. Khy Phanra dans sa thèse décrit l’arrivée des premiers Annamites au Cambodge, à partir de l’arrivée des Français en Cochinchine :

(Suite Partie 6)

[1] Dans « Histoire du Vietnam, des origines à 1858 » par Lê Thanh Khôi, Ed. Sudestasie, Paris 1992, page 363.
[2] « Cambodge », article d’Alain Forest, dans « Histoire de l’Asie du Sud-Est, Révoltes Réformes, Révolutions » textes réunis par Pierre Brocheux, Ed. Presse Universitaire de Lille, 1981, p. 73.
[3] Pages 148 – 149. Une photocopie l’article de Mak Phoeun, en PDF, peut être envoyée en fichier joint sur demande.
[4] Le Myre de Vilers to the Minister of Colonies, Saigon, 19 November 1881.

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