Qui gouverne le Cambodge ?
Qui Gouverne le Cambodge ?
J’ai été chargé de requalifier les circuits de voyages en ex-Indochine française pour le compte d’un voyagiste low cost.
Enchanté par l’idée de découvrir ces pays, j’étais parti avec un simple sac à dos le jour même lorsqu’on m’a confié cette mission. La baie d’along était le premier de destination, où j’ai rencontré, avec surprise, Bopha, de son prénom cambodgien, une charmante fille, une habitante de Phnom Penh. Elle était mon amie lorsqu’elle était venue étudier à Paris. Après avoir passé une nuit ensemble à l’hôtel, elle s’est proposée de devenir mon guide. Elle était devenue mon interprète. Elle parle couramment le Vietnamien et le Khmer. Elle a une très bonne maîtrise du Français et de l’Anglais. Elle m’a fait découvrir des endroits dont la beauté est subliminale. J’ai été vraiment fasciné par le charme et la douceur de cette région magnifique.
Comme prescrit dans mon cahier des charges, je devais aussi parcourir le Cambodge pour d’évaluer des itinéraires et des endroits à proposer aux clients du voyagiste. Toujours accompagné par mon charmant guide qui rentre chez elle à Phnom Penh, j’ai été surpris par d’importants mouvements de va et vient à la frontière Vietnam-Cambodge. Fort de mon expérience de plusieurs années et ayant jusque là parcouru plusieurs contrées lointaines, je n’ai jamais vu de pays où le contrôle frontalier est aussi laxiste, pour ne pas dire inexistant. Les flux de marchandises et de Vietnamiens rentrant et sortant du Cambodge sont impressionnants. Etonné de voir tous ces trafics, j’ai demandé à mon guide : « qu’est ce qu’il fait qu’il y a autant de gens qui font le va et vient ? ». Elle m’a répondu avec sourire : « le Cambodge est un eldorado pour nous ».
Après avoir franchi la frontière, nous parcourons notre route jusqu’à Phnom Penh, où j’ai été reçu par la famille de Bopha. Le père de Bopha était venu du Vietnam pour s’installer au Cambodge en 1982. Il faisait partie de l’appareil d’état vietnamien parachuté au Cambodge par le gouvernement vietnamien. Il reçoit environ 5 000 dollars par mois du gouvernement vietnamien pour mener des missions au Cambodge. Comme le père de Bopha, beaucoup de Vietnamiens sont restés au Cambodge après le retrait de la troupe vietnamienne en 1989. Tous occupent un poste soit au sein du gouvernement de Hun Sen soit dans les affaires florissantes du pays. Bopha, et ses frères et sœurs, tous nés au Vietnam, ont fait leur scolarisés à l’université de Phnom Penh, m’a-t-elle dit. Un de ses frères est venu étudier en France.
Bopha et ses parents ont organisé une soirée festive en mon honneur. Ce qui m’a beaucoup ému. Je ne pourrais oublier leur chaleureux accueil et gentillesse. Le lendemain, je reprends mon travail en visitant Phnom Penh. J’ai été fort frappé par l’immense contraste entre une minorité très fortunée roulant avec de très belles voitures 4x4 flambantes neuves et une majorité de la population qui vit dans une sorte de cabanes délabrées avec des moyens très rudimentaires.
Un soir Bopha m’a proposé de faire une virée nocturne avec elle. Nous avons fréquenté des bars-restaurants les plus huppés de la capitale cambodgienne. Là, j’ai vu des jeunes dépenser de l’argent sans compter. L’argent coule à flot. Bopha m’a expliqué que ces jeunes sont issus de la classe dirigeante à Phnom Penh.
En sortant d’un bar, nous étions passés devant une des villas appartenant à un des hauts généraux de Hun Sen, Ke Kim Yan. Bopha m’a dit qu’un de ses enfants vient de se marier, fin janvier 2011, avec une des filles d’un militaire de haut rang, celui qui avait conduit les tanks pour museler en juillet 1997 les militaires partisans du parti royal. Parmi les convives à ce mariage, figuraient Hun Sen, lui-même, Sok An, et les quelques autres hauts responsables du gouvernement cambodgien, m’a-t-elle dit. Ces gens détiennent les plus grandes fortunes du Cambodge. Ils ont dépensé plus de 200 000 de dollars rien que pour le bouquet de fleurs de la mariée et autres décoration, plus de 500 000 de dollars de parure en diamant. Les mariés ont reçu en cadeau de mariage une superbe maison avec un terrain de golf. Je me demandais, au vu de leurs grandes villas très sécurisées, d’où vient leur fortune aussi importante. Le pays paraît si pauvre. Une grande partie de la population vit dans les campagnes dans un semblant de maisons qui ne résisterait sûrement pas au coup de vents violents.
Après cette visite nocturne à Phnom Penh qui a quelque peu secoué ma conscience, j’ai demandé à Bopha si elle pouvait m’accompagner à Siem Reap. Sur la route, Bopha m’a expliqué que tout est facile ici au Cambodge. Les dirigeants cambodgiens sont crédules, incultes et sous-éduqués. Elle dit qu’il « suffit de leur laisser couvrir le devant de la scène politique et les laisser se noyer dans la soif du pouvoir et de l’argent. Des hauts responsables de l’armée du Vietnam viennent de temps en temps rendre visite aux dirigeants cambodgiens lorsqu’ils sont malades ».
Bopha me rassure qu’elle était très intéressée de travailler avec mon voyagiste. Lorsque nous sommes arrivés à Siem Reap, elle m’a présenté aux responsables de la plupart d’hôtels. La façon dont elle parle avec eux me laisse penser qu’ils se connaissent très bien. L’un d’entre eux m’a proposé une nuit dans son hôtel. Bopha est repartie le soir même à Phnom Penh. On s’est promis de se tenir informé de la suite du projet de circuit de voyage. Avant de partir, Bopha m’a donné l’adresse d’un des frères de son père qui habite au Laos. Le lendemain, j’ai profité d’une journée pour découvrir la ville de Siem Reap avant de poursuivre mon chemin au Laos. J’avais rencontré par hasard quelques personnes travaillant pour des ONG. Elles m’ont raconté des choses totalement imperceptibles aux yeux des visiteurs non avertis qui complètent encore les propos de Bopha.
Frappé par l’inconscience sans commune mesure des dirigeants cambodgiens face à un problème aussi important, j’ai décidé d’apporter mon témoignage en l’honneur des pauvres gens mais toujours souriants que j’avais croisés lors de mon voyage.
Jean Claude SANTERRE
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